Inventer des rituels contemporains – Thierry JANSSEN.

 

Thierry JANSSEN

 

Pour vivre dans un monde incertain

 

Qu’est-ce qui caractérise les rites et les rituels ? À quoi servent-ils ? Pouvons-nous vivre sans eux ? Doivent-ils forcément être reliés à une tradition, à une démarche sacrée ou à une pratique religieuse ? Notre existence n’est-elle pas remplie de rites que nous adoptons sans même nous en rendre compte ?

En répondant à ces questions, Thierry Janssen nous offre un ouvrage passionnant qui parle de nous, de nos existences quotidiennes, de la vie de nos communautés, des préoccupations et des besoins de tous les êtres humains.

Fort de son expérience de médecin, de thérapeute, de méditant et d’enseignant, il nous explique comment laisser émerger divers rites en se posant les bonnes questions. Et, de façon très pratique, il nous enseigne comment inventer des rituels pour manifester l’intention contenue dans ces rites.Nous découvrons alors que ritualiser permet de mener une existence pleine de sens et d’accomplissements. C’est aussi le moyen de vivre plus confiant et plus serein dans un monde qui se révèle incertain.

 

En guise d’introduction 

 

Une expérience, des questions 

 

L ’idée de ce livre a surgi au cours d’une conversation avec mon ami – journaliste, essayiste, romancier et éditeur français – Jean-Philippe de Tonnac. Nous parlions de la crise sanitaire de la Covid-19. Une crise qui a ébranlé le monde entier dans ses certitudes et a abouti à des situations inédites, comme celle du confinement général imposé au début de l’année 2020. 

«T’es-tu rendu compte qu’au milieu de cette tension, de cette angoisse et de ce chaos tu as proposé une sorte de rite à travers un rituel quotidien, à la fois traditionnel et contemporain, à des milliers de gens, et que cela leur a fait beaucoup de bien ? », m’a demandé mon ami. Jusqu’alors, je n’avais jamais analysé ce qui s’était passé sous cet angle ni sous aucun autre d’ailleurs. 

J’ai effectivement proposé, pendant le premier confinement, un rendez-vous sur Facebook, tous les soirs à 19 heures, durant quarante-cinq jours d’affilée. Cette initiative est née de façon tout à fait inattendue et spontanée, absolument pas préméditée. Comme la plupart d’entre nous, j’étais chez moi, à Bruxelles, avec l’interdiction de sortir si ce n’était pour me ravitailler. Je pressentais que cet enfermement allait durer plusieurs semaines et je me demandais comment j’allais pouvoir me rendre utile pour ma famille, mes amis, les élèves de l’École de la Posture juste ou même l’un ou l’autre inconnu qui pourrait se sentir esseulé ou déstabilisé. 

À l’époque, je vivais seul et, bien que je ne redoute pas la solitude, le simple fait de savoir que je n’avais pas le droit de sortir pour rencontrer des gens a réveillé en moi un grand besoin de tisser et de nourrir des liens. J’ai donc répondu positivement à une proposition de m’exprimer au cours d’une interview qui serait diffusée en direct sur Facebook. L’idée était de mettre des mots sur ce que nous étions en train de vivre, de prendre un peu de recul par rapport à cette expérience collective et de témoigner de la solidarité à ceux qui se connecteraient ce soir-là. La réunion devait être enregistrée via l’application Zoom, un moyen de communication que je découvrais et que, comme beaucoup, j’ai utilisé par la suite jusqu’à avoir la nausée à la simple idée de rejoindre une réunion sur écran. À ma grande surprise, plusieurs centaines de personnes se sont connectées dès le début de la rencontre. Mais, après quelques minutes, Zoom a bugué. Je me suis alors retrouvé sans interlocuteur pour continuer l’interview. Au lieu de mettre un terme à la rencontre, sans réfléchir, j’ai immédiatement proposé aux internautes qui étaient connectés à ma page Facebook de méditer ensemble. 

Ma façon de méditer commence toujours par quelques mouvements basés sur les principes millénaires du yoga et du qi gong. Ces exercices que je qualifie de « bioénergétiques » offrent l’avantage de faire circuler l’énergie dans le corps de ceux qui les pratiquent. Cela accroît leur présence à eux-mêmes et cela rend leur méditation plus vibrante, plus vivante. Nous devrions toujours faire précéder notre méditation assise par ce genre de méditation en mouvement, c’est ce qui est enseigné dans les grandes traditions contemplatives de l’Inde et de la Chine. Je me suis donc mis à bouger face à la caméra de mon téléphone portable, de façon déliée et consciente, depuis les pieds jusqu’au sommet du crâne, en passant par les chevilles, les genoux, les hanches, la région de l’estomac, la poitrine, les épaules, le cou, la bouche et le front. En même temps, j’invitai les internautes à en faire autant. J’insistai pour qu’ils portent leur attention sur chacune des zones corporelles mobilisées. Puis je me suis assis sur une chaise, les pieds en contact avec le sol, les mains posées sur les cuisses, la colonne vertébrale redressée, sans prendre appui sur un dossier, les épaules relâchées, la mâchoire détendue, le regard dirigé vers le bas, les paupières légèrement entrouvertes, comme j’ai l’habitude de l’enseigner au sein de l’École de la Posture juste. 

La méditation assise que je pratique a pour spécificité l’ouverture du cœur, non pas à l’aide de pensées bienveillantes, mais en respirant profondément afin de détendre le corps, en particulier au niveau de la poitrine. En plus d’apporter une détente corporelle, ouvrir le cœur de cette manière entraîne un profond apaisement du mental. Nous pouvons alors entendre le silence qui est au-delà des sensations, des émotions et des pensées. Cela permet à la conscience de s’éveiller en nous. Car le mental pense, tandis que la conscience – la pure conscience – constate, tout simplement. Elle est pure présence, silencieuse et paisible, acceptation sans condition de ce qui est, amour inconditionnel. 

Généralement, j’évite de guider les méditations, car le fait de prononcer des mots stimule le mental au lieu de l’apaiser. Toutefois, assis devant mon téléphone portable, face à ces milliers d’internautes, dont beaucoup déclaraient n’avoir jamais médité auparavant, j’ai eu l’élan de leur proposer un véritable enseignement. Une sorte de carte destinée à les accompagner dans ce que j’appelle une « plongée dans le silence intérieur ». Un chemin en quatre étapes: 1. Se poser, se déposer, se reposer; 2. Ouvrir le cœur; 3. Écouter le silence à l’intérieur; 4. Se révéler silence, paix et amour inconditionnel. D’emblée, j’ai précisé que cette carte n’avait d’autre but que celui de fournir des repères et qu’une fois celle-ci intégrée dans la mémoire de chacun il serait judicieux de ne plus écouter ma guidance, afin de profiter pleinement de l’expérience. Car il est impossible de découvrir une nouvelle contrée si l’on passe son temps les yeux rivés sur le plan qui la décrit. 

Seul dans mon appartement, face à l’écran de mon téléphone, je me sentais relié à tous ces gens. C’était très puissant. J’étais présent à moi et à ce qui se passait autour de moi dans la pièce où je me trouvais. En même temps, j’avais la très nette impression d’être en contact avec ce qui se passait à distance, là où se trouvaient les internautes qui étaient en train de méditer avec moi. Dans cet état de grande disponibilité, je constatais, j’accueillais toutes sortes de sensations et d’émotions, certaines agréables, d’autres beaucoup moins, et je continuais d’ouvrir le cœur, toujours plus. Je n’avais jamais éprouvé un tel sentiment de connexion, d’empathie et de compassion. Je percevais tant de peur, tant de confusion, tant d’angoisse, tant de colère. Tant d’amour aussi. 

Malgré le caractère virtuel et «à distance» de cette expérience collective, j’éprouvais autant de joie et d’amour que quand je méditais « en présence» avec les élèves de l’École de la Posture juste. Quelque chose d’impalpable et d’indicible émergeait dans l’invisible et, à en croire les centaines de commentaires qui s’affichaient sur l’écran de mon téléphone, beaucoup de personnes éprouvaient des sentiments très semblables aux miens. « Je suis bouleversée, je pleure, j’ai l’impression d’évacuer beaucoup de souffrance et, juste derrière, de percevoir beaucoup de joie.» « Je me sens tellement reliée à vous tous, c’est impressionnant.» « J’étais très angoissé en commençant, à présent je me sens ancré, centré, apaisé, confiant, serein et rempli de gratitude.» «Cette sensation d’être unis par une intention commune, c’est merveilleux.» 

À mesure que nous progressions dans notre méditation, tel un mantra, je répétais sans cesse : « J’ouvre, j’ouvre, j’ouvre le cœur…, et j’écoute le silence à l’intérieur…, j’ouvre, j’ouvre, j’ouvre le cœur…, j’écoute le silence, je goûte la paix et la douceur à l’intérieur.» Après quelques minutes de cette extase collective, j’ai proposé à mes nouveaux camarades d’imaginer que nous formions un cercle, un Cercle de Vie semblable à celui que je forme régulièrement avec les élèves de l’école, dans lequel nous pouvons déposer des intentions et inviter par la pensée des personnes qui nous paraissent avoir besoin, elles aussi, de baigner dans le silence, la paix et l’amour de la conscience éveillée. 

 

A propos de l’auteur

 

Chirurgien devenu psychothérapeute, Thierry Janssen se consacre à une approche globale de l’être humain, au développement de la « médecine intégrative » et à une vision plus spirituelle de la société. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont Le Travail d’une vie, Vivre en paix, La Solution intérieure, La maladie a-t-elle un sens ?, Le Défi positif, Confidences d’un homme en quête de cohérence, Écouter le silence à l’intérieur et La Posture juste. Considéré comme un « ami spirituel » par beaucoup, il est le fondateur de l’École de la Posture juste (EDLPJ), à Bruxelles.

Fondée en 2015, l’EDLPJ a commencé par accueillir des professionnels impliqués dans la relation d’aide et de soin afin de leur apprendre à développer la qualité de présence à eux-mêmes et aux autres, qui permet d’adopter une « posture juste » dans la relation thérapeutique – une posture à la fois psychologique, énergétique et physique, qui favorise l’épanouissement de la Vie en nous et autour de nous. Face à l’afflux des candidatures venant de personnes issues d’autres secteurs de la société, depuis 2020, l’EDLPJ est ouverte à tous.

 

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