Les chamanes occidentaux. – Mélanie CHEREAU.

 

Mélanie CHEREAU

 

Répondre aux besoins, éviter les dérives

 

Le chamanisme traditionnel peut-il être adapté en Occident sans être dénaturé ?

Aujourd’hui, le chamanisme connaît un nouvel essor en Occident et de nombreux chamanes se sont formés à l’étranger. Ils reviennent pour nous transmettre ce qu’ils ont appris en proposant diverses formes de stages, de cérémonies et de soins.

Cet engouement soulève de nombreuses questions à la fois éthiques et spirituelles, mais aussi pratiques et historiques. En effet, le chamanisme s’enseigne-t-il en quelques stages ? Pourquoi les Occidentaux ont-ils envie de pratiquer le chamanisme (créer son tambour, trouver son animal totem…) plutôt que de consulter un chamane ponctuellement comme cela se fait à l’étranger ? Comment se prémunir des dérives éventuelles alors même que notre civilisation s’est trop coupée de ses racines, de la nature, de ses traditions et de sa spiritualité ? L’Occident est-il condamné à chercher ailleurs ce qui lui manque, à le transformer au risque d’en dévoyer le sens profond et initial ? Ou, au contraire, est-il le garant de ces traditions autochtones éloignées qui, sans ce nouveau souffle, seraient vouées à disparaître ?

Toutes ces questions sont celles que Melanie Chereau a posées à la lumière du parcours personnel et des pratiques singulières des chamanes occidentaux suivants : Moudouma, Éric Sunfox Marchal, Céline Dartanian, Claire Marie, Philippe Lenaif, Delphine Valeau et Arnaud Riou.

 

Introduction

 

Pourquoi ce livre ? 

 

Pourquoi un énième livre sur le chamanisme, cette « spiritualité » à la fois millénaire et qui semble rejaillir partout dans le monde, de manière très différente, mais avec des points communs aujourd’hui ? Une sorte de réveil post-new age, un « new-new age » pourrait-on dire, secoue l’Occident et s’amplifie depuis quelques décennies. Un effet début de millénaire, une ambiance préapocalyptique qui inquiète une population de moins en moins convaincue par les religions mais en mal de sens, de spiritualité, de rites… Sûrement qu’un peu de tous ces éléments se rejoignent, mais à l’ère où le numérique et les réseaux sociaux permettent à la fois une étendue de l’information immédiate, mais aussi la création de minicommunautés un peu partout, le néochamanisme (néo-néochamanisme ?) connaît un véritable essor. Pour le meilleur et pour le pire, il faut bien l’admettre. Savez-vous que le hashtag #shaman a été partagé avec 704 millions de vues en 2022 sur TikTok ? Le chamanisme, ainsi que les pratiques qu’il engendre, est englobé dans ce grand maelstrom spirituel contemporain, qui mélange à foison son héritage new age avec les spiritualités orientales – ainsi le concept des âmes sœurs côtoie celui du karma, ou encore la réincarnation indique des éléments de la « mission de vie »… Les besoins du développement personnel, très lucratif, surfent sur celui de « réenchanter » son existence avec des rituels personnels ou collectifs, resserrant les liens et créant des communautés de semblables qui se rassurent mutuellement sur le sens de la vie. Enfin un rapprochement avec la nature couronne le tout, en résonance avec les problèmes écologiques, les inquiétudes pour l’avenir et la bonne conscience qu’on peut se donner à coups d’animal totem et de rituels dans la forêt, pour se dire qu’au moins, on est au-dessus du lot, on console la Terre-Mère… 

Bref, dans tout cela, il y a des chamanes qui travaillent, qui essaient de transmettre des soins et des rituels, afin de colmater les brèches que la modernité fait dans la cuirasse des humains, et que les anciennes méthodes ne convainquent plus beaucoup. Les prêtres et les psys n’étant décidément jugés plus très efficaces, dans une période où tout doit aller très vite même les guérisons, à l’ère du « do it yourself » même dans le bien-être et le développement personnel à tout va, il est difficile de s’y retrouver et de comprendre comment trouver du sens et de l’authenticité. 

Après avoir écrit trois livres sur le sujet du chamanisme, après avoir travaillé sept ans au magazine Inexploré, pratiqué vingtcinq ans de bouddhisme tibétain traditionnel et surtout après avoir rencontré des chamanes et pratiqué des rituels, j’ai voulu interroger cet objet protéiforme que j’observe comme étant un chamanisme syncrétique. En Occident, nous n’avons pas conservé ce qui devait être notre chamanisme originel et nous empruntons donc aux autres cultures leurs initiations et leurs pratiques, mais dans quel but ? Comment sont initiés les chamanes français et pourquoi ? Que font-ils ensuite avec leur savoir, et qui sont ceux qui les consultent ? Dans quel but ? Est-ce authentique ? Toutes ces questions me taraudent, et particulièrement celui de la légitimité, Introduction 11 face au travers occidental qui est l’appropriation et la transformation pour ses besoins quitte à tout dénaturer, de tout ce qu’il peut rencontrer autour du monde. Pour exemple, lorsque l’Occident rencontre le yoga, il en fait un sport, lorsqu’il découvre la méditation, il la transforme en « pleine conscience » en lui retirant tout l’aspect religieux, lorsqu’il rencontre la notion de karma ou de réincarnation, il la remanie à la sauce coaching spirituel… Ainsi, comment s’en sort le chamanisme ? Faire une hutte de sudation entre personnes inconnues alors qu’à l’origine cela permettait de réunir le clan, s’attribuer un animal totem alors même que tous les chamanes traditionnels n’en ont pas, ou encore tourner autour du feu en battant du tambour, est-ce signifiant pour nous ? À quoi jouons-nous ? Y a-t-il une universalité humaine qui justifie cela, une humanité réunie autour du culte des esprits, ce qui est à la base du chamanisme ? Toutes ces questions, j’ai voulu les poser à des chamanes, afin que nous étudiions ensemble cet animal à trois têtes et cinq pattes qu’est le chamanisme contemporain. 

J’aimerais également partager ma propre expérience et mon lien personnel avec le chamanisme. Il s’agit d’une exploration intérieure vécue de manière introspective, ponctuée de mes propres expériences, sensations et interrogations. Ces dernières années, j’ai été confrontée à des événements qui m’ont mise en contact avec divers chamanes, dont l’importance est indéniable. Cette réflexion résonne également avec l’intérêt croissant pour le chamanisme, observable chez de nombreuses personnes qui, tout comme moi, peuvent être tentées de s’attribuer des capacités « spéciales » sans toujours en comprendre pleinement les implications. Il est donc essentiel d’exercer une prudence éclairée, et cette enquête personnelle offre l’opportunité de rencontrer des chamanes dont le parcours souvent long et ardu mérite considération. 

Pour ce livre, j’ai choisi des chamanes que je connais, avec lesquels j’ai pratiqué des expériences, ou bien que j’ai interviewés. Ils sont tous Occidentaux puisque c’est le sujet de l’ouvrage. Bien entendu, ce n’est pas en interviewant sept personnes que je vais avoir des réponses universelles, mais en tout cas, cela peut donner des pistes de réflexion supplémentaires, en plus de témoigner d’une époque. J’ai choisi ces chamanes parmi d’autres, parce qu’ils me semblaient avoir tous des démarches différentes mais complémentaires. J’ai eu envie d’avoir leur avis sur tous ces questionnements, et en comprenant leur parcours et leur démarche, peut-être commencer à collecter des éléments sur ce qui est en train de se produire en Occident, sur la voie du chamanisme. Bien sûr, ce livre est très subjectif, les avis partagés n’engagent que ceux qui les énoncent. 

Chamanes contemporains, chamanes occidentaux, qui êtesvous ? Quel est ce chamanisme qui à l’origine n’existe pas chez nous ? En plus d’avoir importé/inventé le terme, peut-être sommes-nous en train de créer une nouvelle voie ?

 

A propos de l’auteur

 

Mélanie Chereau, diplômée en sociologie, est journaliste, essayiste et conférencière spécialisée dans la spiritualité, la psychologie et le chamanisme. Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages et la rédactrice en chef adjointe du magazine Inexploré. Elle est également formée en naturopathie et pratique le bouddhisme tibétain depuis vingt-cinq ans.

 

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